SHAW (G. B.)

SHAW (G. B.)
SHAW (G. B.)

La personnalité de Shaw, son extraordinaire vitalité, ses écrits politiques, sociaux et philosophiques, surtout son éblouissant théâtre d’idées dominent la scène littéraire anglaise de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Tour à tour romancier, critique littéraire, musical, dramatique, vulgarisateur des idées socialistes, brillant causeur, pamphlétaire paradoxal, réformateur impénitent et surtout auteur dramatique de tout premier plan, il s’imposera à la société anglaise de son temps, à la fois divertie par son humour et son génie comique et irritée par ses prises de position politiques, son didactisme de prophète ou ses extravagances. Le masque parfois excentrique ou sarcastique de G. B. S. (ses initiales sont célèbres de bonne heure dans sa carrière) cache un homme généreux, secret, d’une grande intelligence, dont la vie est une lutte pour la vérité et contre les conventions, pour la justice sociale et contre tous les abus. L’auteur dramatique compte parmi les plus illustres du théâtre anglais.

Le réformateur social et le critique

George Bernard Shaw naît à Dublin, d’une bonne famille d’origine anglo-écossaise et protestante. Élevé entre un père éthylique aux moyens financiers réduits et une mère, musicienne remarquable et professeur de chant, il tire peu de profit des différentes écoles qu’il fréquente, mais il acquiert par lui-même, un peu au hasard, une culture littéraire et musicale étendue. Après avoir travaillé quelque temps à Dublin, puis à Londres, où il est allé retrouver sa mère désormais séparée de son mari, il végète pendant plusieurs années au cours desquelles il complète sa formation par d’innombrables lectures.

Pendant cette période, il écrit cinq romans qui ne sont pas dénués d’intérêt, mais que tous les éditeurs refusent: parmi lesquels L’Amour chez les artistes (Love Among the Artists , 1881), La Profession de Cashel Byron (Cashel Byron’s Profession , 1882) et Un socialiste peu sociable (An Unsocial Socialist , 1883). Ils contiennent déjà l’ébauche de certains thèmes que Shaw reprendra dans son théâtre. Entre-temps, une conférence de l’économiste H. George en 1882 et la lecture de Marx l’ont converti au socialisme qui lui apparaît comme la seule solution possible aux problèmes sociaux. La satire sociale et la lutte pour l’amélioration de la société occuperont une grande partie de sa vie. Pendant une quinzaine d’années (1883-1898), il déploie une intense activité dans deux directions: celle du socialisme et celle de la critique d’art.

Devenu membre de la Société fabienne, groupe d’intellectuels (Sidney Webb et H. G. Wells entre autres) qui souhaitaient imposer le socialisme par une lente et prudente pénétration dans tous les organes de direction de la société, il multiplie conférences, débats, articles et essais: Essais fabiens (Fabian Essays , 1889). Son intérêt pour les questions sociales, économiques et politiques ne fléchira pas puisqu’il publiera, en 1928, le Guide de la femme intelligente en présence du socialisme et du capitalisme (The Intelligent Woman’s Guide to Capitalism and Socialism ) et, en 1944, Le Manuel politique pour tous (Everybody’s Political What’s What ).

Parallèlement, Shaw devient critique d’art au journal The World , critique musical pour The Star et The World et enfin critique dramatique à la Saturday Review . Ses articles seront réunis dans plusieurs recueils. Il écrit à la même époque La Quintessence de l’ibsénisme (The Quintessence of Ibsenism , 1891) sur le grand dramaturge norvégien et Le Parfait Wagnérien (The Perfect Wagnerite , 1898), prenant aussi la défense des artistes qui renouvellent à cette époque le théâtre et la musique.

L’auteur dramatique

Depuis 1892, Shaw est attiré par un nouveau mode d’expression où il va exceller: le théâtre. De 1892 à 1950, il écrit plus de cinquante pièces, dont une trentaine d’au moins trois actes.

Les sept premières sont publiées en 1898 sous le titre Pièces plaisantes et déplaisantes (Plays, Pleasant and Unpleasant ). L’Argent n’a pas d’odeur (Widower’s Houses , 1892), L’Homme aimé des femmes (The Philanderer , 1893) et La Profession de Mrs. Warren (Mrs. Warren’s Profession , 1893) sont des pièces de combat, s’attaquant de front aux abus sociaux: les propriétaires de taudis, la prostitution, hypocrisie générale qui masque les réalités sordides. Le pamphlet et la satire dominent, la technique dramatique est encore peu sûre. Shaw s’oriente rapidement vers des pièces plus jouables dans lesquelles la satire est portée par une verve comique et humoristique qui va se développer: Le Héros et le soldat (Arms and the Man , 1894) attaque l’idéal romantique ou romanesque, la gloire militaire, la guerre; Candida (1894) oppose le bonheur domestique, l’amour et la solitude de l’homme de génie; L’Homme du destin (The Man of Destiny , 1895), pochade sur Bonaparte, et On ne sait jamais (You Never Can Tell , 1895) complètent le groupe des «pièces plaisantes».

Les Trois Pièces pour puritains (Three Plays for Puritans , 1901) contiennent entre autres Le Disciple du diable (The Devil’s Disciple , 1896), où est abordé le problème religieux et surtout César et Cléopâtre (Caesar and Cleopatra , 1898), pièce dans laquelle éclatent le comique verbal de Shaw et son traitement irrévérencieux de l’histoire.

En 1903, Shaw termine l’une de ses pièces les plus importantes: L’Homme et le Surhomme (Man and Superman ). Sur le thème de Don Juan, l’auteur qui commence à élaborer sa philosophie de la «force vitale» soutient que, dans le duel des sexes, c’est l’homme qui est pris en chasse par la femme, poussée par la force de l’instinct vital de la nature, qui tend à élaborer une espèce supérieure, le surhomme.

L’Autre Île de John Bull (John Bull’s Other Island , 1904) donne à Shaw l’occasion d’écrire une pièce sur les Irlandais, puis il revient à ses préoccupations sociales: La Commandante Barbara (Major Barbara , 1905), Le Dilemme du Docteur (The Doctor’s Dilemma , 1906), Mariage (Getting Married , 1908) abordent tour à tour les problèmes de la pauvreté considérée comme un crime social, de la puissance de l’argent, de la médecine, de l’amour et du mariage. Puis viennent deux pièces, Androclès et le lion (Androcles and the Lion , 1912) qui met en scène les premiers chrétiens et le développement du christianisme, et Pygmalion (1912) qui conte la transformation d’une petite marchande de fleurs en duchesse grâce aux bons soins d’un professeur de phonétique.

La Première Guerre mondiale marque une étape dans la carrière de Shaw. Écrivain célèbre et penseur écouté jusqu’alors, il va s’attirer l’insulte et l’incompréhension de l’opinion par ses prises de position lucides et sans préjugés sur la politique de son pays. (Commonsense about the War , 1914). Écrite de 1913 à 1916, La Maison des cœurs brisés (Heartbreak House ) offre un tableau pessimiste de l’Europe cultivée d’avant-guerre, qui a failli à sa mission par incompétence politique. Retour à Mathusalem (Back to Methuselah , 1918 à 1921), énorme spectacle allégorique et symbolique en cinq pièces, représente la somme philosophique de Shaw, «pentateuque métabiologique» montrant la «force vitale» et l’«évolution créatrice» à l’œuvre dans l’univers, élaborant des surhommes, les «anciens», êtres chargés d’ans qu’habite seul un tourbillon de pure intellectualité. Ici, la vigueur dramatique ne parvient plus à animer ces pièces écrasées par leur thème et par l’utopie.

En 1923 paraît un des derniers chefs-d’œuvre de Shaw, Sainte Jeanne (Saint Joan ), qui étudie les relations entre la société, ses génies et ses saints, une société incapable de discerner dans l’hérésie du jour la vérité du lendemain.

Véritable figure légendaire, Shaw est maintenant l’homme de son époque, le réformateur et le prophète. Il reçoit le prix Nobel en 1925. Parmi les pièces qu’il ne cessa d’écrire jusqu’à sa mort (qui survient à Ayot Saint Lawrence), on peut citer: La Charrette de pommes (The Apple Cart , 1929), satire politique; Le Naïf des îles imprévues (The Simpleton of the Unexpected Isles , 1934); Genève (Geneva , 1938), «extravagance» politique. Il faut aussi mentionner un conte philosophique: Les Aventures d’une jeune négresse à la recherche de Dieu (The Adventures of the Black Girl in Her Search for God , 1932).

L’art et l’humour au service de la pensée

Les grands thèmes du théâtre de Shaw: l’art conçu comme didactique et réformateur, le socialisme iconoclaste destiné à détruire les structures présentes et à instaurer une juste démocratie dont les citoyens seront des surhommes, la philosophie de la «force vitale» qui anime la matière et tend vers la création d’espèces supérieures, la religion métabiologique, sorte de mysticisme naturaliste nécessaire à l’homme de demain, tous ces thèmes se trouvent développés et amplifiés dans les importantes et célèbres préfaces aux pièces, véritables essais indépendants, dans lesquelles Shaw précise sa pensée, les pièces apparaissent alors comme de simples illustrations. On peut citer Mieux que Shakespeare? , Sur les médecins , Épître dédicatoire à A. B. Walkley , Le Demi-Siècle incroyant , L’Avenir du christianisme .

Du point de vue de la technique dramatique, l’apport de Shaw n’est pas moins important. Pour redonner vie au théâtre anglais, il substitue au conflit des passions, devenu banal et conventionnel, un conflit d’idées, tout aussi dramatique, car pour Shaw les pensées sont aussi des passions, passions intellectuelles, certes, mais aussi fortes que les autres. Ces discussions sont portées par un dialogue où l’humour, l’esprit, le paradoxe et la fantaisie sont toujours présents dans une sorte de gaieté intellectuelle. Ces dialogues mettent en lumière les jeux et les rapports entre illusions et réalité. Il faut aussi noter le soin apporté par Shaw à préciser le décor, l’attitude des personnages et leurs réactions dans des indications scéniques très développées.

Il apparaît donc comme un manieur d’idées qui cherche toujours à faire réfléchir sur le bien-fondé des opinions reçues, à rejeter ce qui est caduc ou hypocrite, et à accepter après examen critique de généreuses et bénéfiques nouveautés. Dans sa quête inlassable de la vérité, dans sa lutte pour la dignité de l’homme et dans son génie comique réside sa durable grandeur.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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